
Chapitre 3 : L'oiseau ne sourira plus~
Un bruit incessant me sort de mon profond sommeil. Mes pieds traînent sur le parquet flottant de ma chambre. Je ne suis vraiment pas motivée aujourd'hui. Les lattes craquent plusieurs fois sous l'effet de mon poids. La porte s'ouvre, légèrement. Ma mère m'observe. « Prends ton temps mon c½ur. » puis elle repart en me laissant seule dans le couloir. Je n'ai pas envie d'aller au lycée. Je ne veux pas y retourner. Je ne veux plus subir tout cela. En m'approchant de la salle de bain, je me frotte frénétiquement les yeux. Ma brosse à la main, je brosse d'un mouvement las la touffe blonde qui me sert de cheveux. Mes pensées divaguent. Tout est flou. Je me sens seule. Je me sens sale. Je me sens faible. Pourquoi continuer à vivre si c'est pour mourir à petit feu ? J'ai besoin d'air. J'ai besoin de vivre. Si je pouvais changer, tout serait sans doute moins triste. La vie est trop cruelle. Elle ne cesse de me punir. D'abord Sting puis ma voix et maintenant Grey. Toutes les choses qui me permettent de vivre heureuse me sont prises. Grey est la seule personne qui m'aide à sortir la tête hors de l'eau. Mes cheveux démêlés, je les attache avec un simple élastique noir. Quelques mèches folles s'en échappent de part et d'autre de la couette. Je regarde mon reflet, mon regard est si terne. Après avoir totalement finit de me préparer, je descends manger mon petit déjeuner, un simple bol de céréales. Mes parents m'observent en silence. Ils font bonne figure mais je sais qu'ils sont au courant pour Grey.
Mon regard évite au maximum le leur. Je ne veux pas en parler, vraiment pas. Mon sac sur l'épaule, je pars plus tôt qu'à mon habitude vers l'arrêt de bus. Mon esprit divague, cherchant une issue quelque part. La voie de Natsu résonne encore dans ma mémoire... Plus fort que tout le monde... Alors qu'est-ce que je dois faire ? Continuer d'être leur gentil jouet ? Les dénoncer au directeur ? Il s'en ficherait... Il se contente de fermer les yeux pour éviter tous conflits. Autant demander de l'aide à un arbre. Un arbre... Je me demande si... Arrête Lucy. Tu ne dois pas penser à ce genre d'idée. Mes poumons me font souffrir. Peut-être que je devrais le dire au médecin... Après tout c'est peut-être grave. Oui mais qu'est-ce qui pourrait être plus grave que ma situation actuelle ? J'ai l'impression d'être une balle sur laquelle tout le monde s'amuse à frapper. Un jouet... Rien qu'un simple objet... Est-ce vraiment la vie qu'il aurait voulu que je mène... Absorbée par mes pensées, je ne remarque pas la barre de fer qui se rapproche dangereusement de moi. Mon front vient directement se taper contre. Je retire ce que j'ai dit, ça peut encore s'empirer. Un long soupire m'échappe. Ma main vient frotter mon front désormais boursouflé, cela fera sûrement une bosse. Lucy tu es vraiment trop forte. Le c½ur lourd, le genou endoloris et le front boursouflé, j'arrive enfin à mon arrêt de bus. On dirait que je fais le parcours du combattant tous les jours. En réalité, c'est même plus dur que cela. Un combattant sait à quoi s'attendre... Moi c'est tous les jours une nouvelle souffrance qui apparaît. Je veux que tout s'arrête. Maintenant. Mes pieds se rapprochent dangereusement du bord de la route, papa... maman... Grey... je vous aime tous mais je n'en peux plus de lire la peine dans votre regard quand vous me voyiez. Trois secondes de courage... Trois secondes... Mes pieds frôlent le bord. Deux secondes... Les larmes dévalent sur mes joues. Tu ne souffriras plus. Tu pourras enfin te reposer, me souffle ma conscience. Oui... Je veux être paisible. Une seconde... Ma jambe franchit le seuil et j'attends le contact avec la route. Seuls les crissements de voitures flottent encore autour de moi. Tout va se finir.
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Mes jambes me brulent. La chaleur brule chacun de mes membres. Un tiraillement indéfinissable s'empare de mon genou. Non je dois avancer... Encore... Il m'attend dans toute cette horreur. Je le sais. Je le sens. Me frayant un passage entre les poutres en bois enflammée, j'arriver à discerner une grande silhouette. C'est lui.
« Sting ! Sting ! Il faut sortir ! »
Il ne me répond pas, je vois juste un large sourire se dessiner sur ses lèvres. Il me regarde fixement articule quelque mots et se poignarde le ventre. Ma voix perce les braises. Mes jambes brulés, déchirée, je me glisse jusqu'à lui. Non non non. Pourquoi. Mes mains sur son ventre, je tente d'arrêter l'hémorragie mais c'est peine perdue. Le sang coule à flot et nous entoure d'une grande auréole rouge. Mes larmes et mes cris se marient à cette scène des plus macabres. Tu n'as pas le droit de me laisser. Mes mains s'appuient de manière rythmées sur sa poitrine. Reste avec moi. La bâtisse s'écroule autour de moi, mes poumons n'en peuvent plus et me laissent progressivement tombé. Je sens mon esprit dévié alors que je continue le massage cardiaque. Non... Je dois continuer. Pour lui. Je dois le sauver il ne doit pas... Mourir....
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Un goût amer frôle mes lèvres et serre ma gorge. La douleur m'assaille de toute part. Mes jambes sont lourdes, tout mon corps l'est en réalité. C'était stupide, je le sais, mais ça aurait pu marcher. Visiblement, cela n'était pas le cas ; mon corps endolori est allongé sur un banc, ma tête reposant sur quelque chose de doux et de chaud. Ma tentative de suicide a de nouveau lamentablement échouée. Mon corps n'est lacéré que de quelques griffures superficielles. Inconsciemment, les larmes me viennent. Elles coulent sur mon visage, incontrôlables, insatiables mais surtout insuffisantes. Le vide immense est toujours présent malgré ses sillons salés tracés sur mes joues. Pardonnes-moi Sting. Ma faiblesse me trahit. Je n'ai toujours pas réussis à te rejoindre. D'un geste léger, je porte ma main à mes yeux. Un voile en tissu tombe instantanément sur mon visage. Lorsque je le retire, un visage fermé et pénétrant me dévisage d'un air grave. Encore ce Natsu. Toujours là aux mauvais moments ou alors, aux bons... Mon esprit ne sait plus vraiment. Ce que je veux réellement est si indéterminé que cela reste un mystère pour moi-même. Je suis complètement perdue ; mes limites ont été martyrisés depuis tellement longtemps qu'elles sont devenues invisibles. Avec le peu de force que je réussis à trouver, je me redresse, dos à mon « sauveur ». Son regard perçant scrute chacune des parcelles de mon dos. C'est tellement gênant, cette sensation de faiblesse. Une simple petite chose faible et désespérée voilà ce que je suis en ce moment. Alors cela ne sert à rien de me juger ainsi.
Mon regard fuit au maximum le sien, sans réellement pouvoir y échapper. Collée à ce banc, je sais bien que je vais devoir m'expliquer. Expliquée un geste aussi désespéré, aussi macabre ; comme si c'était une chose facile à aborder.
« Tu penses que c'était une bonne idée ? C'est ça ta solution ? »
Naturellement sur la défensive, je me contente d'hocher très légèrement les épaules. Je sais très bien que j'ai choisis la solution de facilité. Seulement je n'ai plus la force d'envisager d'autres issues. Tout ce que je désire, c'est que ça s'arrête. Là, maintenant. Qui est-il pour me juger. Il ne sait rien de moi, il n'a pas son mot à dire. Son avis m'importe peu en réalité. Tu ne sais rien de moi, rien de mon histoire. C'est ce que j'aimerai lui dire, mais la force me manque. D'une certaine manière, son geste m'a touché. Je reste immobile, incapable de bouger plus que cela, attendant une suite à sa demande. Mon regard perce le sien durant quelques secondes. C'est si glacé. Mon corps ne me répond plus. Je suis telle une enfant attendant de se faire taper sur les doigts. La discussion reste silencieuse pendant plusieurs minutes. Il attend des explications ; je le sens bien. Son pied tape à un rythme régulier sur le sol, m'agaçant légèrement. Le silence est réellement pesant, tel un poids régnant tout autour de nous.
« Tu restes encore muette devant moi alors que je viens de te sauver la vie... »
Une pointe de déception teinte sa voix. Personne ne t'a jamais rien demandé. Mon esprit se ravise immédiatement. C'est tellement égoïste de penser de la sorte. Ma tête bascule légèrement sur le côté alors que je suis désormais assise à côté de lui. Ce qu'il peut-être obstiné. Le pire c'est que je ne sais pas si j'en suis énervée ou touchée qu'il prête autant attention à moi. Je devrais être énervée et pourtant je suis touchée qu'il se soit presque sacrifié pour moi. Comment en est-on arrivé là ? Moi tout ce que je voulais c'était ne plus souffrir ; m'endormir simplement sans faire de vagues. Alors pourquoi devrais-je lui être redevable de m'en avoir empêchée ? La douleur, la tristesse, les larmes, la souffrance, l'hypocrisie, la compassion tout cela je n'en veux plus. Tout se mélange dans mon esprit, tout est si confus. N'arrivant plus à retenir ce trop plein d'émotions, je cède de plus belle et pleure à flot. Sa main se pose dans mon dos puis finalement me serre contre lui. Réfléchissant peu à ce qu'il se déroule, mes blessures complètement ouvertes je laisse tout couler. Après avoir réussis à retrouver un semblant de calme, je me décide finalement à tout lui expliquer, par écrit évidement. Libre à lui de me haïr après cela.
On passe de longues minutes dans un silence constant, marqué par les bruits des touches de mon téléphone. Reprenant à plusieurs reprises ce que je dois dire. Trouver les mots justes n'allait pas être évident mais il fallait que je lui fasse un minimum confiance.
« Je ne peux pas parler car on m'a volé ma voix. »
Le soleil est haut dans le ciel quand mon récit s'achève enfin. Finalement, on aura passé la matinée tous les deux ; assis sur ce banc à se fuir mutuellement du regard. Il me lance se regard que je hais tant. Ce parfais mélange de compassion et de tristesse. Mon histoire est loin d'être facile à assimiler pour moi et vous ne faites qu'en rajouter avec vos regards de pauvre petite chose à mon égard.
« Je suis désolé d'avoir tant insisté. Tu as dû me trouver stupide. »
Cette réponse me surprend ; ne m'attendant pas réellement à ça. Un léger sourire s'esquisse sur mes lèvres. Il est vraiment hors norme. Mais dans le bon sens selon moi. Personne n'a jamais réellement essayer de me comprendre c'est peut être pour cela qu'il m'attire à ce point. Je me rapproche légèrement de lui et pose ma tête sur son épaule. A ma grande surprise, il n'émet aucune contestation et me laisse savourer ce simple instant de tranquilité. Au bout de quelques minutes, mon estomac crie famine. Avec tout ça, je n'ai pas mangé de la matinée et mon corps me le fait clairement savoir. Inquiet, Natsu me propose d'aller manger en ville, le problème c'est que mes vêtements sont partiellement déchirés. Je n'ai pas vraiment envie qu'on me prenne pour une sans domicile fixe. Ma tête mime un non ferme. Sa main passe à plusieurs reprises sur l'arrière de son crâne. J'ai l'impression d'être un meuble qu'il ne sait pas où placer. C'est assez étrange comme impression je l'admet. Finalement, on marche jusqu'à chez lui. Je serai bien rentré chez moi mais la réalité c'est qu'il n'ose pas me lâcher. La peur se lit clairement sur son visage. M'inviter chez lui le gêne énormément mais c'est sa manière de me montrer qu'il tient à moi.
Une fois chez lui, la situation me percuta enfin. Nous sommes seuls, tous les deux chez lui. Le silence marquant n'aide pas à oublier ce détail. Complètement seuls. Naturellement sur la défensive, je préfère me méfier de lui. Après tout, je ne sais rien de lui. Je n'ai aucunes raisons de lui faire confiance. Alors qu'il me prend ma veste des mains, mon corps ne bouge pas d'un cil ; mes yeux le fixent sans vraiment m'en rendre compte. Sa main se pose sur ma tête, hésitante. L'inquiétude se lit sans soucis dans son regard. Relayé au rang de petite chose fragile, je préfère ne pas relever et pose mes chaussures à côté des siennes. Dans la cuisine, l'ambiance ne s'apaise que très peu. Je sens bien qu'il veut me demander quelque chose mais la volonté lui fait défaut. Peu patiente et affamée, je bois mon café au lait qu'il m'a préparé d'une seule traite. La sensation de la caféine me console que très peu mais apaise la boule qui montait de plus en plus dans ma gorge. Une sorte de plénitude m'envahit, sans vraiment savoir pourquoi. Assis côte à côte sur son canapé, je l'observe du coin de l'½il se faire un monologue. J'acquiesce de temps en temps, simplement pour le conforter dans l'idée qu'il ne parle pas dans le vide. Finalement, on ne sera pas aller en cours mais je ne m'en inquiète guère. Rien n'a d'importance en ce moment et surtout pas dans ce lycée pourrit. Par réflexe, je remonte mes jambes contre ma poitrine. Mon téléphone à la main, je tape, de temps en temps, quelques réponses. Parler de tout et de rien me semblait futile mais cela m'apporte plus que ce que j'aurai crut. Je trouve en lui une image protectrice et rassurante, telle une petite fille avec son père.
Le sujet principal est toujours finement évité. Il n'a pas envie d'en parler et ça tombe bien car moi non plus. Actuellement, j'ai juste besoin qu'on me prête de l'attention et qu'on me protège. Rien qu'à cette pensée, la honte m'assaille. J'ai besoin qu'on me protège mais surtout j'en ai envie. Je me sens si pitoyable, là maintenant. Ma tête enfoncée dans un oreiller, je sens la main de Natsu se poser à nouveau sur mes cheveux. Alors que je le regarde légèrement, un mince sourire apparaît sur ses lèvres.
"Je n'en parlerai à personne ne t'inquiètes pas. Fais moi confiance."
Un léger sourire en guise de réponse suffit à agrandir le sien. Me voilà attendrie par ce garçon qu'il y a quelques heures je maudissais au point de vouloir le frapper. La détresse dans laquelle je suis ne dois surement pas aider à être objective. Je me surprends à trouver son côté protecteur attachant. La soirée arrivant, il décide de me raccompagner, ayant peur que je ne fasse d'autre bêtises. Notre dialogue se fait à notre manière durant tout le trajet et lorsque vint le moment de nous séparer, il plonge une dernière fois sa main dans mes cheveux puis promet de venir me chercher demain matin.
Décidément ce garçon a le don de m'apaiser, même si ce n'est que légèrement. Peut-être pourrais je bel et bien finir par lui faire confiance. Quand je suis seule, face à mes parents, ils ne me sermonnent pas. Ils sont juste rassurés que j'aille bien ; l'école n'a que peu d'importance. Visiblement, ils ont été prévenu. Je mens outrageusement sur le motif de mon absence mais ils ne se doutent de rien et ne cherchent pas plus loin. Pardon papa. Pardon maman. Je préfère garder ma souffrance pour moi mais aussi garder précieusement dans ma mémoire la bouffée d'air qu'a réussi à avoir ce garçon sur ma détresse. Le temps me dira si il mérite ma confiance ce "Natsu"...
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